samedi 8 janvier 2011

La conquête du monde

Quand j’étais jeune et moche, et que j’avais la naïveté des jeunes de mon âge, ma vision de la vie était bien différente de celle d’aujourd’hui. Comme bien d’autres, tous ou aucun, je ne saurais le dire avec précision, ma notion du temps était… intemporelle. Je m’imaginais qu’à 21 ans, je serais mariée et que ma famille serait déjà complète, et tout en étant moche (trouvez l’erreur).

À cet âge encore (le début vingtaine), on croit hors de tout doute qu’on mérite mieux (et donc plus beau) que nous. Il est donc mathématiquement impossible (aucun lien avec les mathématiques) d’être casé si on est moche, puisque les gens plus beaux que nous cherchent aussi plus beau qu’eux, et ainsi de suite. Dieu merci, la beauté est dans l’œil de celui qui la regarde (non! Que c’est cliché!).

En plus d’être très optimiste quant à ma future et encore si lointaine situation familiale, j’avais une vision très… particulière du monde. Je vous ai un peu menti en introduction, je n’avais pas la naïveté des jeunes de mon âge, j’étais différente. Je voyais le monde avec des yeux d’adulte (selon mon point de vue), mais avec les connaissances d’une enfant.

Ainsi, j’étais relativement facilement impressionnable. Par qui? Par quoi? Des choses qui ne m’impressionnent plus vraiment, voir plus du tout, allant même jusqu’au découragement, parfois.

Donc, pour en revenir à notre sujet principal, dont vous ne savez rien, pour l’instant, quand j’étais jeune, moche et idiote (tiens, un nouveau qualificatif), j’avais la conviction ferme que les pourvoyeurs de biens et services étaient les mieux placés pour conquérir le monde. Je m’explique : il suffisait qu’une personne ait l’air vraiment convaincue de ses dires pour qu’elle ait raison et, par le fait même, soit candidate à la conquête du monde. Mais qu’était-ce que la conquête du monde pour moi? Rien de bien palpitant, sinon la certitude que personne ne pouvait nous faire ch… suer.

Un exemple concret? La fille qui travaillait au dépanneur d’à côté de chez moi. C’était la fille du proprio. Elle travaillait les soirs et les fin de semaine. Elle. Elle était mon idole. Sophie.

C’était elle qui faisait la crème molle. C’était même elle qui décidait si elle la faisait au chocolat ou à la vanille le vendredi (mono-saveur). Elle. Wow. Elle m’en a même déjà donné une un soir, après la fermeture, parce qu’il en restait dans la machine et que je collais là toute la soirée, étant si fière d’avoir au moins une amie, et adulte en plus. Elle. Elle pouvait conquérir le monde chaque jour, chaque minute.

Elle pouvait (où pouvoir est très mal utilisé) vendre des cigarettes à l’unité, vendre des bonbons « à la cenne » sans mettre de gants ni se laver les mains, entre deux taponnages de monnaie, manger directement dans les contenants de bonbons, et ce, tout en retournant à sa vie entre les clients, parce que le dépanneur était à même la maison (sauf quand je collais là, le soir). GÉNIAL!

Pourtant, je ne me souviens pas avoir rêvé d’être à sa place. Je me contentais de l’admirer et de vouloir être vétérinaire, un jour, sans doute après mon mariage et la naissance de tous mes potentiels enfants, vers 22 ans... Vétérinaire, c’était moche et sans intérêt (en comparaison avec Sophie), mais c’était ce qui m’allumait à cette époque.

En fait, je me rends compte aujourd’hui que ce n’était pas tant le fait qu’elle soit responsable du magasin que le fait qu’elle était adulte et apte à prendre des décisions, qui la rendait si impressionnante à mes yeux. C’était elle qui disait « NON! » aux petits culs qui voulaient des cigarettes en étant trop jeunes. Elle ne se faisait pas insulter par les jeunes (ceux qui me tabassaient moi) parce qu’elle était adulte. En plus elle avait plein d’amis gais, et moi, ça m’impressionnait. Il y a plus de quinze ans, c’était ambitieux!

Aujourd’hui, du haut de ma fin vingtaine, je vois la chose sous un tout autre angle, nul besoin de mentionner que je n’envie pas les caissiers de dépanneur, surtout pas s’ils sont réduits aux soirs et fins de semaine, et encore plus s’ils ne font pas d’études en même temps. J’ai évolué, et ma connaissance du monde avec.

Dans un univers parallèle, si nous avions eu sensiblement le même âge, aucune amitié n’aurait été possible entre elle et moi. Divergence totale et absolue du mode de vie. Mais elle est tombée juste à point dans ma vie, et a contribué grandement à l’être humain que je suis devenue. Ce faisant, je l’admire toujours, même si elle ne conquiert plus le monde depuis longtemps déjà.

*****

Ce texte est le résultat d'un défi entre moi et Lui. Thème :Quand je fais (ou pense à) X, j'ai l'impression de conquérir le monde. Le thème pouvait être conjugué. Style : comme un souvenir d'enfance. Longueur : 1000 mots ou moins. Pour constater la différence d'interprétation des sujets visitez Tempête de cerveau.

9 commentaires:

  1. Joli texte aussi. Pas facile de choisir et je me demande encore qui l'emportera entre Lui et Toi... Bonne chance ! :)

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  2. Ce n'était pas une compétition, simplement un défi amical! Je ne suis pas de taille de toute façon!

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  3. Oh que oui tu es de taille crois-moi.....

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  4. J'ai du travail à faire pour convaincre quelqu'un de nous rejoindre dans la "vraie" blogosphère pour qu'il embarque dans nos défis... Allez Marie-Ève, pousse de ton côté!

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  5. LOL c'est que le public n'est pas assez big pour lui dans l'autre blogosphère.... je pense que c'est juste ça la raison ;)

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  6. Il n'a qu'à faire comme moi et à garder l'autre. Comme ça, quand il a une crise d'ego, il va pondre quelque chose là-bas, se satisfait du résultat, se laisse émouvoir par le manque qu'il a créé, par les gens tristes qui le pleurent puis il revient. Facile. Dis-lui, d'accord?

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  7. J'espère que tu n'abandonneras pas et que tu vas lui montrer que tu es à la hauteur... :)

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  8. Chère Emia,

    Tu as fait du toi, du toi dans la plus grande tradition de toi, comme toi seule peut le faire. J'aime.

    T'es bonne.

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