dimanche 11 juillet 2010

Toute bonne chose a une fin

Elle regardait par la fenêtre, un peu perdue dans ses pensées quand soudain, elle aperçut son voisin d’en face, un homme qui aurait facilement pu être son père, s’avancer vers chez elle. Perplexe, elle se dirigea rapidement vers la porte d’entrée afin d’éviter que ce dernier ne réveille son fils, qui venait enfin de s’endormir. Constatant qu’il envisageait réellement l’accès à la porte d’entrée, elle sortit sur le pas de la porte, l’air surpris.

Ce qu’elle vit la désarma. Il était différent. Si elle ne l’avait pas regardé traverser la rue avec son chien et venir à sa porte, elle ne l’aurait pas reconnu. Celui qu’elle avait toujours perçu comme un homme vif et bon vivant était juste devant elle, l’air perdu. Quand il se mit à parler, elle se demanda même s’il délirait :
« Je m’en vais à mon chalet ce soir. Si vous voulez, vous pouvez utiliser ma piscine. Je serai là-bas jusqu’à dimanche et ma conjointe est à la maison Notre-Dame. »

Un peu ébahie, puisqu’ils ne s’étaient jamais vraiment parlés, et ne sachant que répondre, elle tenta quelque chose :
« S’il y a quelque chose que l’on peut faire pour vous, comme mettre la poubelle au chemin, cela nous fera plaisir. »

Cette réplique sonna faux. En effet, nous étions vendredi et les poubelles sont ramassées le mercredi. Le malaise fait parfois dire des choses surprenantes. Un silence lourd prit naissance. Afin de mettre fin à l’agonie, elle se dit que le moment était bien choisi pour satisfaire sa curiosité :
« Qu’est-ce donc que la maison Notre-Dame ? »

Son regard, jusque là vide, changea. On aurait dit de l’étonnement. C’en était, en effet :
« Tu es sérieuse, tu ne sais pas ce qu’est la maison Notre-Dame ? demanda-t-il.
- Oui, je suis sérieuse, répondit-elle, à la fois gênée et intriguée.

Elle s’attendit alors à recevoir un boulet de canon, puisque les larmes qui se bousculaient dans la gorge de son interlocuteur l’empêchaient de répondre. Il avala quelques fois puis enchaîna, presqu’en chuchotant :
« C’est une maison où les gens malades vont mourir ».

Tout compte fait, il n’aurait pas eu à répondre. Son expression corporelle l’avait fait bien avant ses paroles. Maintenant, elle avait mal pour lui. Il lui parla encore un peu. Il semblait s’en remettre un peu. Il insista pour la piscine puis s’en retourna de son côté de la rue.

Lorsqu’elle referma la porte, elle se mit à pleurer avant même que le loquet ne soit tourné. Elle était bien trop sensible, et elle le savait. À ce moment précis, sa vie changea. Elle ne le savait pas encore mais cet homme prendrait possession de ses pensées pour au moins toute la fin de semaine à venir.

Elle remit alors en question toute sa vie. Elle était triste. Il était si terrible que quelqu’un ait à faire son deuil de l’amour de sa vie avant même que sa mort ne soit arrivée. Elle espéra pour lui qu’il soit suffisamment proche de sa famille pour qu’il n’ait pas à traverser seul cette épreuve. Elle aurait bien voulu aller le réconforter, lui apporter des biscuits, de la soupe, un pain aux bananes, mais elle n’oserait jamais le faire. Et s’il surveillait son cholestérol ? S’il était diabétique ? Allergique aux noix ? Bien que ce fut peu probable pour un homme de cet âge. Et elle ne voulait surtout pas qu’il associe les biscuits au chocolat à la douleur pour le reste de ses jours. Elle finirait sans doute par ne lui offrir que des regards compatissants de part et d’autre de la rue.

Pour ce qui était de la piscine, elle savait qu’il l’offrait pour se sentir utile, mais le fait est qu’elle avait horreur de se baigner, surtout dans de l’eau artificielle. Et même si lui souffrait, elle avait une vie à vivre, des choses à faire.

Elle termina sa fin de semaine, assise sur le divan, cherchant une façon de mettre ses émotions par écrit. Elle n’avait réussi à transposer en mots qu’une infime partie de ses sentiments. Cet homme était passé dans sa vie pour une raison. Laquelle ? Pour lui faire réaliser qu’elle devait profiter de la vie au maximum ? Que les gens meurent sans qu’on puisse s’en attendre ? Que ça n’arrive pas qu’aux autres ? Que l’horrifiante statistique qui veut qu’une personne sur trois soit atteinte d’un cancer au cours de sa vie est vraie ? Qu’elle devait tenter de tisser des liens avec son père avant qu’il ne soit trop tard ? Que la vie c’est l’amour et non le travail ?

Elle espéra, juste avant de mettre un terme à ce triste billet, qu’elle arrêterait de penser à lui, à sa peine, à son cauchemar, au fait que son monde s’écroulait, mais que la vie continuait, de façon égoïste et condescendante. Les gens continueraient de rouler à toute vitesse devant chez lui en pleine nuit sans se soucier de son malheur. Que d’autres riraient et crieraient de joie, en faisant brûler des feux d’artifice, ignorant qu’ils le narguaient de leur bonheur insouciant. Après tout, la mort fait partie de la vie, n’est-ce pas ?

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