vendredi 23 juillet 2010

On ne vit pas dans le passé

Hier, j’étais en panne d’inspiration. Je voulais écrire, mais rien n’y faisait. Je me suis donc dit qu’une ballade en forêt, seule, dans le sentier où on a récemment vu l’ours, ferait travailler mes neurones. J’étais à l’affut. Je cherchais des personnages qui titilleraient mon imagination. Un individu étrange, une perdrix enragée, un chien trop entreprenant, une femme en talons hauts, l’ours… Rien de tout cela. Tout ce que j’ai trouvé, c’est le bout de mon souffle. En moins de vingt minutes, je n’avais plus rien à donner, et j’étais malencontreusement revenue à mon point de départ.

Outre une bande de poulettes en babouches, qui m’ont fait me demander comment on pouvait prendre une marche si mal chaussée, rien. J’ai donc décidé, à cet instant précis, de prendre une pause, de me laisser quelques jours, le temps de laisser l’inspiration venir à moi. La lumière vint à moi au moment où je m’y attendais le moins. Bouteille de 40 oz de Vodka Troika à la main, je sortais de la SAQ, me demandant si ma vanille serait aussi bonne qu’avec de la Smirnoff quand je l’ai aperçue.

Je ne pensais pas la reconnaître, si je la revoyais un jour. Dans mes souvenirs, elle n’avait pas de visage. C’était trop loin. Treize ans, c’est long. Cependant, dès que je l’ai vu, j’ai su. Si elle m’avait regardé, elle aurait eu droit, tout à fait gratuitement, à mon regard le plus meurtrier. Celui que je réserve à ceux qui ont tué mon adolescence, qui m’ont fait détester les villages, ne vouloir que la ville. J’aurais voulu qu’elle me reconnaisse, qu’à travers ce regard haineux mais triste, elle regrette.


J’aurais tant voulu qu’elle sache combien elle m’avait fait mal, ces fois où elle m’avait insultée et frappée en public. Qu’elle réalise qu’à cause d’elle, j’avais arrêté de manger pendant des mois, perdu mes cheveux, cessé de dormir. J’aurais voulu qu’elle réalise que ses gestes à elle, et à tous les autres de son espèce, qui lui paraissaient si quelconques à l’époque, étaient restés gravés dans ma mémoire, qu’ils m’avaient marquée à vie.

Aujourd’hui, même si je ne suis plus la même, même si je suis une personne à part entière, que j’ai une vie respectable, que je suis heureuse, j’ai revécu toute cette douleur, l’espace de quelques minutes. Je l’ai détestée comme au premier jour, ne comprenant pas pourquoi elle avait un conjoint, étonnamment trop beau pour elle, et une magnifique petite fille, sensiblement du même âge que mon fils. Pourquoi avait-elle droit à ce bonheur, après avoir été aussi méchante avec moi ?

Ce n’est qu’une fois dans ma voiture que j’ai réalisé que j’avais moi aussi fait des choses terribles, et que j’étais quand même heureuse. Je n’ai battu personne ni insulté personne, mais j’ai quand même fait du mal. J’étais consciente du mal que j’avais fait et on m’a pardonnée, et j’ai alors pu me pardonner. Puis, avec les années, l’expérience, les hasards de la vie, j’ai changé.
Se pouvait-il qu’elle aussi, ait changé ? Qu’elle soit devenue, comme moi, une bonne personne ?

Cette rencontre unilatérale m’a littéralement gâché ma journée. J’ai eu mal. J‘ai toujours conservé une haine cachée pour ces personnes qui m’ont blessée, tabassée, insultée. C’est cette haine qui m’a fait si mal aujourd’hui, qui m’a fait revivre des moments douloureux que je croyais oubliés. Aujourd’hui, j’ai compris. Le pardon ne sert pas à nous rapprocher des gens qui nous ont fait mal. Le pardon est une démarche personnelle qui nous permet de trouver la paix, de passer à autre chose.

C’est fait, je les ai pardonnées, toutes ces personnes qui m’ont fait mal. Maintenant, dès que l’une d’entre se trouvera sur mon passage, je pourrai continuer à vivre.

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