À peine sortie du véhicule pour me diriger vers l’entrée principale, l’odeur m’a frappée. Cette odeur, je la connaissais trop bien. Je me demande même si elle n’était pas demeurée bien cachée aux confins de mon nez pendant ces deux années. Deux années où j’en avais oublié l’existence, où ce type d’horreur n’existait plus.
Une fois à l’intérieur, tout était aussi beige, aussi sale et aussi froid que dans mes souvenirs. La plus insoutenable des chaleurs n’aurait point suffit à rendre accueillant cet endroit. Les gens, tous vêtus de la même façon, me laissaient indifférente. Dire que j’avais déjà rêvé d’être à leur place. J’avais oublié ce bruit sourd, celui qui faisait plus qu’embaumer l’endroit, qui le faisait vibrer, littéralement. La poussière rouge, omniprésente, trahissait sans gêne ce qui se trouvait derrière ces murs.
Plus j’avançais dans le long couloir, plus mon souvenir se précisait. Pourquoi fallait-il que je revienne ici ? N’avais-je pas d’autre choix ? Était-ce réellement ce pourquoi je vivrais dans les années à venir. Ce qui me ferait vivre du même coup ?
Je suivais les autres, gentiment, constatant avec un désintérêt teinté de dégoût la tristesse du décor. L’odeur était déjà disparue. En fait, elle ne disparaîtrait jamais, mais elle était assimilée. Le nez a cette capacité de rendre les arômes tolérables. Tout ce qui restait, c’était le spectacle désolant. Mais ce n’était rien en comparaison à ce qui nous attendait, tout en haut. Après être montés, tous entassé dans l’ascenseur jaune taché de brun, la vue d’ensemble m’a frappée.
Chaleur. Manque d’éclairage. Bruit infernal réduit à l’état de grondement sourd pour mes oreilles, sous leur armure protectrice. Air lourd, puant, irrespirable. Vue brouillée par une visière de plastique. Mince réconfort. Il m’aurait fallu bien plus que tout ça pour me sentir confortable.
Dans toutes ces dizaines de réservoirs ouverts, du liquide toxique, passant du beige crémeux, tel une préparation de gâteau à la vanille bien mélangée, au liquide brun rougeâtre, en passant par une préparation mixte qui aurait facilement pu être confondue avec du beurre d’érable en train de se séparer, dans un contexte différent.
Par endroit, le liquide de mort chaud faisait des nuages, invisibles, mais qui rendaient l’air asphyxiant. Nous étions alors tous pris d’une toux incontrôlable, accompagnée de picotements douloureux dans le nez. Comment pouvais-je accepter d’exister à cet endroit ?
Dans tout ce brouhaha de tuyaux entartrés, de réservoirs dégoûtants, rien n’était beau. Tellement que tout le monde semblait laid. Par les panneaux ouverts, le panorama extérieur ne faisait pas plus belle figure. Tout était gris, brun, noir. L’air semblait refuser de pénétrer jusqu’à nous, nous refuser cette bouffée de fraîcheur, comme pour nous faire sentir coupable de cette trahison envers nous-mêmes. « Tu as osé te présenter ici ? Paie, maintenant. »
Le sentiment d’inconfort m’a quittée lorsque j’ai été suffisamment loin pour ne pas voir l’air sale s’échapper au bout des longues cheminées d’acier rouillé. Cet air, il était entré et sorti de mes poumons, à peines quelques minutes auparavant. Cet air, il était vicié, dangereux. Mais cet air, rapportait bien des millions. Il faut choisir ses combats, n’est-ce pas ?
Et moi qui osait me plaindre de mon environnement de travail...
RépondreSupprimerquel est donc cet endroit? qu'est-ce qu'on y produit?
RépondreSupprimerOn y produit de l'alumine par le procédé Bayer. C'est une usine de produits chimique.
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