dimanche 17 août 2014

Ce soir, je tue ma blonde

Tranche de vie. C’était dans les années 90, quelque part dans la première partie. J’étais enfant, mon père était adulte. Je me souviens clairement avoir fait la route dans les deux sens : du chalet à la brasserie et de la brasserie au chalet. Deux fois vingt kilomètres, environ. À l’aller, mon père avait soif, il était à jeun. Au retour, il débarquait de la route de temps à autre, et il empestait les 6 grosses bières qu’il avait bues au comptoir, à se faire appeler « minou » par la barmaid cheap. Oui. Il était saoul. Oui, il m’avait emmenée à la brasserie. À cette époque, ce n’était pas moins scandaleux, mais accepté par le petit peuple (Voir Elvis n’est pas mort).

Parenthèse. Un ami qui s’est enlisé dans le fossé après une soirée arrosée, chaud avancé, et que la police a fini par arrêter, qui se dit chanceux de n’avoir blessé personne, et d’avoir si peu de conséquences. Une tite machine à souffler pendant quelques petits mois. Normal n’est-ce pas, c’était la première fois! Qu’il se faisait prendre… Nuance.

Hier, en tentant de comprendre le sujet des multiples liens internet que m’envoyait mon ami par Facebook, j’ai fini par voir la photo ci-jointe. (Pour vous) Un quelconque type, menotté, qui se fait gentiment conduire par les forces de l’ordre vers une coquette salle avec barreaux et sans doute une toilette, l’air un peu sonné. Dans d’autres circonstances, il aurait sans doute joué au petit baveux, traitant les policiers de chiens, ou de [insérer jurons] de n’importe quoi… Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il « feel cheap ». Hier, il a pris son Jeep après quelques bières. Hier, il a pris son Jeep, avec sa blonde dedans, après quelques bières, et il est allé faire du hors-piste. Hier, il a tué sa blonde. C’est pour ça qu’il ne fait pas son baveux.



Oui, j’ai saisi en voyant sa photo, parce que c’est une personne que j’appréciais. Un collègue. Un collègue cool avec qui j’avais eu bien du plaisir à travailler. Un « bad boy », mais sympathique. Étrangement*, il a baissé dans mon estime. Je regrette, mais en réponse à ceux qui diront que ça peut arriver à n’importe qui, je dis « non, ce ne sont pas des choses qui arrivent ».

On m’a déjà dit « Moi, je prends mon char quand j’ai bu, parce que je sais chauffer. C’est ceux-là qui ne savent pas chauffer qui tuent du monde. » On m’a aussi dit « J’aurais arrêté de conduire saoul si j’avais tué quelqu’un (non, il ne m’a pas tuée, en retournant au chalet). Je ne sais pas si JP pensait comme ça. De tous les alcooliques, je dirais que mes favoris sont ceux qui ont du “génie” quand ils ont bu. Le problème c’est qu’ils sont comme les licornes. Pas tant qu’ils ont une corne dans le front, mais ils n’existent que dans le cœur des petites filles (ou des femmes naïves). Comme Elle. Je ne la connaissais pas tellement, mais elle était quand même gentille, et sa petite fille de cinq ans ne méritait pas de perdre sa mère, d’être marquée à vie.

Ce qui frappe, c’est que le type sur la photo, c’est JP, mais ça aurait très bien pu être mon père. Ou à peu près tous mes oncles, et plusieurs de mes cousins. L’alcool est comme les “maladies vénériennes”. Plutôt que s’améliorer, ça régresse. Le vin est “in”, la bière est partout. Vous n’aimez pas la bière? On va vous mélanger ça avec de la limonade, et vous inventer pleins de petits cocktails frais qui ne goûtent pas l’alcool. Les ados, les adultes, les ados attardés, les hipsters, les gens qui aiment bien manger (comprendre : boire du vin avec leur fondue chinoise) ont hâte à la fin de semaine pour aller se péter la face, semaine après semaine. Ça boit, ça saute sur le “ski-doo”, ça boit dans le bateau, ça boit à la plage, et ça retourne bien sûr à la maison ensuite. Je savais que ça existait encore, je ne suis pas si naïve. Je ne pensais pas que c’était aussi commun, et ô combien banalisé! Ma parole. Si peu de gens se soucient de ça!

Ici, les gens sont tout émoustillés, il y a un service de raccompagnement qui s’implante. Nez rouge, mais à l’année. Je regrette mes amis, mais JP, il n’aurait pas appelé le raccompagnement, si ça avait été en place. Mon père non plus. Et certainement pas Claude Dubois. Non seulement ils savaient “chauffer”, mais ils n’étaient pas “chauds”, parce qu’être chaud, c’est pour ceux qui ne “portent pas ben la boisson”.

Mon chum n’en revient pas vraiment de me voir aussi chamboulée. Si ces deux personnes n’avaient pas été mes collègues, je n’aurais pas été bouleversée à ce point, c’est certain. Mais ça ne fait que mettre de l’emphase sur le mal de vivre de notre société. N’allez pas me dire que vous ne savez pas qu’il ne faut pas boire ET conduire! Voyons! BANDE DE CAVES! Ce n’est pas parce que vous vous sentez bien que vous êtes corrects! Ça devrait être tolérance zéro pour tout le monde. Les épais de qui ne savent pas compter n’auraient pas à faire de l’arithmétique avancée en comparant leur consommation avec leur poids pour savoir s’ils peuvent ou non prendre leur véhicule. Non, une à l’heure ça ne fait pas. Non, un café, ça ne dégrise pas. Un redbull non plus. Avec de la gomme, ça ne fait que sentir la bière à la menthe. Attendre que ça dégrise, ça risque de vous faire dormir au volant. Il n’y a pas de solution miracle. Ou ben vous ne conduisez pas du tout, ou ben vous ne buvez pas. Que vous vous plantiez, on s’en torche, mais que vous mettiez la vie de vos enfants, des enfants des autres, ou des pauvres gens qui n’ont pas à se trouver sur votre chemin en danger, c’est vraiment cave. Et pourquoi? Pour ne pas vous séparer de votre véhicule.

Pour en revenir au titre, ce ne sont sans doute pas les mots qui ont traversé l’esprit de mon “ami” JP avant de passer à l’acte, mais le fait demeure que ce soir-là, il l’a fait, il a tué sa blonde. Nous verrons demain ce qu’il en adviendra.

Pour en savoir plus sur l'histoire :

Radio-Canada

La Presse

TVA