Des Chinois viennent d’emménager en face de chez nous. Ils sont en train de, disons, puisqu’ils rénovent et ne semblent pas encore y vivre réellement. Pour vous mettre dans le bon contexte, les « étrangers » sont peu nombreux en région. On voit bien des parents tout à fait blancs avec des enfants « importés », mais on sait qu’il s’agit d’adoption. Ce n’est pas rare et comme les enfants s’appellent Coralie, Samuel ou Thomas, on ne se sent pas trop dépaysés. De plus, dès qu’ils prennent l’adolescence, ils sacrent et font comme les autres, alors ce ne sont pas vraiment des Chinois. Nos Chinois, ils sont vraiment chinois.
Sur une autre note, je tiens à vous dire que je sais que je suis un être humain absolument abominable. Sachez également que j’ai tenté de dire le mot « abominable » toute la journée et que, chaque fois, j’ai hésité entre abobinable et abominable. À l’écrit, c’est plus évident, mais sans logiciel de traitement de texte qui souligne en rouge, ça peut porter à confusion. Toujours est-il que j’ai [encore une fois] réalisé combien je suis terrible sans le vouloir.
Depuis que je sais que les nouveaux voisins sont chinois, il m’est complètement impossible de parler d’eux sans insister sur le fait qu’ils sont chinois. Ce qualificatif pourrait être pertinent si mes deux autres voisins d’en face qui tentent de vendre y étaient parvenus, mais ce n’est pas le cas.
Ce midi, en revenant du magasin, ils étaient en train de tondre leur gazon. Ne cherchez pas à comprendre pourquoi, LE Chinois conduisait la tondeuse et madame le suivait au pas, lui prodiguant sans doute des conseils dignes des scientifiques qu’ils sont (les étrangers du Saguenay sont soit chercheurs, soit étudiants en sciences). J’ai alors dit, naïvement, à l’intention de mes deux hommes, ou de moi-même qui sait, je parle tellement que j’en viens souvent à confondre mes paroles et mes pensées, « Tiens, les Chinois passent la tondeuse ».
Papus, mon fils, bien content de l’apprendre, s’est donné pour mission de répandre la nouvelle. Il a donc répété l’énoncé à maintes reprises. Sorti de ma bouche, ça semblait inoffensif, mais de la sienne, j’en suis venue à me demander si j’étais raciste. La réponse est évidemment non, ne vous scandalisez pas, mais je suis aux prises avec une très mauvaise manie, qui « m’oblige » à qualifier les gens, souvent de façon socialement inacceptable.
Des commentaires tels que « La grosse madame qui fume », « la vieille folle qui ne sait pas conduire » ou encore « les Chinois d’en face » sont monnaie courante. Le pire, c’est que je le sais que c’est péjoratif, mais je le dis quand même. J’ai parlé des Chinois une dizaine de fois après, aujourd’hui, et Papus, qui ne s’intéresse qu’aux tondeuses, a immédiatement associé lesdits Chinois à la tondeuse, « tondusse », selon ses dires.
Mon chum, senteux qu’il est, a passé un commentaire sur eux chaque fois qu’il regardait dans la vitrine. « Ça tond bizarre un Chinois » ou encore « ça prend quatre Chinois pour semer des graines de gazon sur le terrain » (ils ne sont pas les seuls en ville, en fait, il y a une communauté chinoise surprenante à Chicoutimi). Il est même allé jusqu’à dire, voyant que les voisins (je m’améliore) ne s’arrêtaient pas pour souper : « Je me demande à quelle heure ça soupe un Chinois ». Croyez-vous que je suis aussi terrible parce que j’ai marié un pareil comme moi? En fait, ce ne sont que des mots, des noms propres qui se font adjectifs, parfois. Personne ne peut nier qu’il est plus facile de savoir qu’on parle des Chinois, en incluant ce terme dans la phrase, n’est-ce pas? Il n’y a pas de mal à appeler un chat un chat. Ce n’est pas racial, j’ai des cousins gais, que je qualifie comme tels, et une grosse tante menteuse qui manque sérieusement d’hygiène, et je fais pareil.