1. Ma version : Les truites
La maison était pleine de
cochonneries de toutes les sortes. Armand était un ramasseux. On aurait
peut-être pu appeler ça des collections, mais tout était tellement n’importe
comment qu’il aurait été difficile de caractériser la collection en question.
De plus, ça aurait été un peu comme donner le droit à tous les ramasseux de
cochonneries de les garder parce qu’une collection, on ne peut pas jeter ça.
Jeannine était d’ailleurs partie à cause de ça. Une de ces nuits, elle s’était
enfargée dans un renard empaillé qui s’était mystérieusement retrouvé de son
côté du lit et la chute avait été brutale. Mâchoire fracturée, jaquette
déchirée. Jeannine était en beau fusil, tellement qu’elle avait acculé Armand
au pied du mur. « Tu sors tes maudites cochonneries de la maison, ou c’est
moi qui pars Armand. »
Armand n’était jamais allé au
marché de sa vie, et n’avait jamais non plus fait à manger. Pourtant, il avait
montré la porte à Jeannine sans hésitation. Et elle était partie. Il n’aurait
pas dû la laisser partir parce que depuis ce jour-là, il n’était plus heureux.
Sa joie de vivre était partie en même temps que Jeannine. Certains auraient pu
penser que c’était parce que la maison sentait le pas propre, comme Armand d’ailleurs
parce que t’as ben beau te laver tous les jours, mais sans savon et sans
serviette propre, ça cultive l’odeur de pas propre. Mais non, Armand ne se
formalisait pas de cette odeur. C’est à peine s’il l’avait remarquée de toute
façon.
Jeannine, même si elle les
haïssait ses cochonneries, elles savaient où elles étaient. Chaque fois qu’il
en cherchait une en particulier, il criait « Jeannine! » et il
poursuivait : « As-tu vu le vieil enjoliveur Toyota que j’ai ramassé
dans le rang 6? ». Et là Jeannine répondait, toujours avec la bonne
réponse : « Sour la vanité dans la chambre de bain Armand, c’est toi
qui l’a mis là ». Et là Armand allait voir, et l’enjoliveur était là.
Chaque fois, il se disait « Une chance que je l’ai ma Jeannine, parce que
je perdrais mon beau stock ». Mais quand Jeannine l’avait fait choisir, il
avait oublié que ça ne servait pas à grand-chose de garder son stock sans
Jeannine pour le trouver.
Il y avait des piles partout, mais
Armand avait quand même ses morceaux préférés. Ça, c’était presque une
collection. Il les aimait d’amour. Mais depuis que Jeannine était partie, il ne
les trouvait plus. À tout moment, il criait « Jeannine! », mais
Jeannine ne répondait pas, et il se souvenait qu’elle était partie. Elle avait
fait ses valises, et elle était partie. Il était remonté du sous-sol, et elle n’était
plus là. Sur le moment, il avait été content, il n’aurait plus peur à ses
affaires, mais aujourd’hui, sa collection lui manquait. Et Armand ne savait pas
comment chercher et ça le rendait vraiment très anxieux. Il avait bien pensé appeler
Jeannine, mais il ne savait pas où Jeannine était partie.
Quand il était anxieux comme ça,
le seul moyen pour Armand de se calmer, c’était d’aller faire un tour au dépôt
sec. Il connaissait le petit gars et il le laissait fouiller dans les
conteneurs. Il trouvait plein de nouvelles cochonneries et ça le rendait
content. Armand a mis sa casquette, et il est parti au dépôt sec.
Une fois rendu là-bas, il a fait
comme d’habitude. Il est allé voir le petit gars pour lui demander s’il y avait
des petits trésors d’arrivés. Le petit gars avait un drôle d’air. Il était
comme gêné. Il a dirigé Armand vers le conteneur numéro 4, celui au fond à
droite. Armand se demandait bien pourquoi le petit gars avait un drôle d’air.
Une fois le nez dans le conteneur numéro 4, Armand est tombé sur les
genoux. Son pauvre cœur était en train de s’arrêter. Elles étaient toutes là.
Toutes ses belles truites musicales, dans le fond du conteneur, toutes
déchiquetées, le bouton arraché. Et Armand est tombé raide mort dans le
conteneur, avec ses 124 truites musicales.
2. Version du Pote : Les truites
Je déteste les truites, enfin c’est ce que je crois. J’ai le
souvenir d’une de ces coquines aux yeux globuleux cuisinée à la perfection dans
une poêle ardente baignée de beurre, d’oignons et de piments. J’étais jeune
mais elle était bonne, fraîche et croustillante. Mireille (c’était le nom de la
truite il me semble) ne goûtait pas le poisson. C’était peut-être le beurre,
c’était assurément le beurre. Parce que du poisson, ça goûte toujours le
poisson. Toujours.
Pour ce qui est de Mireille, l’autre Mireille, je n’ai pas eu
la chance de goûter.
Mais ça c’est une autre histoire.
En cette période post-junkalyptique, manger de la bonne graisse
sale et délicieuse est aussi respectable que de manger le chien du voisin. Si
tu manges un cheesburger avec des frites, t’es un bandit. Si tu t’enfiles une
poutine régulière extra fromage et saucisses c’est que t’es un nazi. Pour être
une bonne personne, il faut bien manger. Bien manger ça veut dire entre autre
manger du poison (tous les poisons incluant les sacrements de sushis), et
manger du poison veut dire manger de la truite. Je veux bien faire l’effort de
faire plaisir à tous les apôtres de la santé, mais la truite que je vais manger
elle va venir avec une demi-livre de beurre. C’est toujours ben plus que dans
mon quart de livre fromage? Deux semaines à manger de la truite tous les jours
et je meurs, pas le moindre doute.
Fait la cuire sans beurre ta truite? Ostie non! JAMAIS! Je
préfère encore mourir tout de suite. Vous mangeriez Mireille si vous saviez
qu’elle goûtait le poisson? Ben c’est ça, moi non plus.
Tous les jours on tente de me convertir mais je refuse, je
refuse de troquer mon quart de poulet, ma pizza, mon nachos, mon gros steak
pervers et juteux pour une damnée truite, encore plus si c’est du restant de
truite en sushi.
Du restant de truite…non mais.
Ha et puis wai, poisson ça s’écrit poison bon.