Tel que promis, je ne suis pas finaliste pour le prix de la nouvelle Radio-Canada. Voici pourquoi. À vous de juger.
Prise
J’entendais un cri. Un hurlement strident, récurrent, irritant. Ce son agissait sur mes neurones comme le feu dans du gazon séché. La réaction était vive et immédiate. Pourtant, cette vigueur ne dépassait pas la boîte crânienne puisque j’étais figée. Mon corps, dans son intégralité, était incapable de se mouvoir. Je me sentais complètement perdue. Alors que la panique s’emparait de ce qui me restait de vivacité d’esprit, faute de mieux, je me suis rappelé une chose. En cas de détresse, se concentrer sur les cinq sens. Je n’aurais su dire de qui ça venait, mais ça venait, voilà tout.
La vue. Décidément, j’étais dans un endroit très noir. L’obscurité était telle qu’il n’y avait pas la moindre parcelle d’espoir visible. Je cherchais, faisant de mes globes oculaires de vraies girouettes, une lueur de vie, mais rien de tel n’accrochait mon regard.
L’ouïe. Outre ce hurlement aigu, qui avait cessé depuis peu, il ne semblait y avoir aucun son. Comme j’étais paniquée, je devais me concentrer pour m’en assurer. Le cerveau a parfois besoin de temps pour faire le point sur les sons environnants. J’entendais une respiration, tout près de moi. Par contre, je ne pouvais affirmer qu’il ne s’agissait pas de mon propre souffle. Je percevais également, au loin, un bourdonnement continu et réconfortant, comme une motorisation ou de la ventilation.
Le goût. Dans ma bouche, une sensation rugueuse, un goût de métal. J’avais du sang dans la bouche. Je tentais d’avaler, mais ma langue refusait d’obéir, ou était-ce mon cerveau qui refusait le mouvement, à cause de la douleur lancinante qui irradiait jusqu’au fond de ma gorge?
Le toucher. J’étais étendue sur le dos. Il faisait chaud, très chaud. J’étais mouillée. Détrempée. Il m’était toujours impossible d’effectuer le moindre mouvement. Je tentais de bouger mes mains, mes pieds, mais rien n’y faisait. Pourtant, je ne sentais pas de corde, ni rien qui puisse les retenir immobiles. Une charge uniforme recouvrait mon corps, mais pas mon cou. Je sentais comme un courant d’air parcourir le haut de ma cage thoracique, nue. Un courant frais. Je frissonnais maintenant, mais n’étais toujours pas apte à me mouvoir, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Mes côtes étaient comprimées et je sentais, en plus du poids, comme un tissu qui me serrait la peau, qui la coupait, même. Une douce pression maintenait ma tête immobile, d’une oreille à l’autre, en passant par le front. Comme si on m’avait enterrée, et qu’il ne restait qu’une partie de la tête et du cou à recouvrir.
L’odorat. Mon nez, qui avait toujours été mon meilleur allié, ne semblait pas vouloir enquêter. Aucun effluve ne daignait me chatouiller les narines. Je devais être allongée dans cette position depuis longtemps, et je m’étais habituée à l’odeur, je ne la sentais plus. Je ne me trouvais décidément pas dehors, puisque les mouvements d’air m’auraient transmis des informations olfactives, des signes, et c’était le calme plat.
En plus de mon incapacité à me situer physiquement dans mon environnement, j’étais aussi perdue sur la ligne du temps, et même dans l’univers. Je me souvenais être une femme, et j’arrivais à me souvenir mon prénom, mais le reste demeurait nébuleux. Mon âge, mon occupation, mon état civil, mes intérêts, mes amis, tout semblait flou.
La respiration que j’avais entendue plus tôt s’est soudainement faite plus rapide, saccadée. Était-ce réellement une tierce personne, tout près de moi, ou était-ce simplement ma propre respiration, activée par ce sentiment d’égarement? Cette dernière option était la plus viable, puisqu’un intrus aurait dégagé une odeur, si faible soit-elle, et je la percevrais. Était-ce donc moi qui manquais d’air pour haleter de la sorte? Je n’arrivais même pas à ressentir ma propre respiration. Comme si elle était trop superficielle pour être efficace. Je devais me concentrer pour respirer plus lentement, je n’entendais plus que ce son infernal, nerveux, et ça me terrifiait.
À force de concentration, j’ai senti mon souffle s’étirer et moi, me calmer. Ce n’était pas parfait, mais au moins, ça ne résonnait plus autant dans ma tête. L’air devait être rare, là où je me trouvais, parce que ces quelques respirations m’avaient étourdie. Je me sentais sur le point de perdre la carte, de m’endormir. Ou de mourir. Qui sait.
Femme de race blanche, fin vingtaine, ayant fait des études en sciences. Je me souvenais très clairement avoir déjà étudié à la cafétéria de l’université. Si ce souvenir était si clair, c’est qu’il m’avait marquée. Je voyais des livres épais, pleins de formules de physique. Maintenant, j’arrivais à me voir à mon travail. Ça y était, j’en savais plus sur ma vie.
Une montre. Je me souvenais d’une montre. Une belle montre carrée en titane avec un bracelet de cuir brun. Je l’avais eue en cadeau. De mon conjoint. Mon mari! J’étais mariée! Et mère d’un enfant! Les choses semblaient se placer dans ma tête. Toutes ces informations m’avaient calmée. Tout était toujours aussi noir, et je ne sentais toujours rien, mais au loin, j’entendais comme un cri. Le même cri qui avait attiré mon attention auparavant, mais plus faible, plus loin. Ou encore enfermé. Un hurlement strident, insistant. Était-ce quelqu’un qui s’enfuyait? Non, puisque le cri reprenait de l’intensité. S’ajoutaient maintenant des bruits de pas irréguliers. Des petites foulées franches, comme des talons hauts.
Tout à coup, dans le hurlement, un mot. Quelque chose de plus concret. Impossible de le déchiffrer, tellement le hurlement était fort, mais il y avait quelqu’un tout près, j’en étais certaine. Cette personne ne se trouvait cependant pas dans la même pièce que moi, à supposer que j’étais bel et bien dans une pièce.
Le hurlement se poursuivait, tantôt près, tantôt loin, et je n’arrivais pas à me concentrer sur mes pensées. Ce cri était infernal, j’aurais préféré me faire insérer une broche à tricoter dans une narine plutôt que d’entendre ce cri encore une minute. J’avais envie de crier au secours, ou encore de hurler à la source du cri de se taire, mais mes mâchoires refusaient catégoriquement de s’ouvrir. J’étais paralysée.
Et si c’était réellement cela, si on m’avait frappée sur la tête, raison pour laquelle j’avais du sang dans la bouche et que mon cou s’était partiellement fracturé, pour me laisser paralysée pour l’éternité? Est-ce que la vie vaudrait vraiment la peine d’être vécue dans un tel état?
Cette pensée avait eu pour effet de faire remonter mon compteur de panique au maximum. Je devais me calmer à nouveau. Mais comment était-ce possible, avec ce son infernal qui semblait aller et venir librement dans toutes les dimensions, à se demander même s’il ne passait pas en dessous et au-dessus, tellement ça fusait de partout.
Tout à coup, alors qu’un long hurlement guttural se faisait entendre, à faire glacer le sang, tout a déboulé. J’ai senti mon corps bouger, mais contre mon gré. Une expiration sèche et courte, venue d’ailleurs, s’est fait entendre tout près, suivie de bruits de pas lourds et rapides. Plus loin, mais pas si loin, une voix d’homme, exaspérée : « Mango, veux-tu bien te la fermer, il est trois heures du matin! »
D’un coup, ma bouche s’est ouverte, l’air est entré dans mes poumons à haute vitesse. Le sang coulait dans ma gorge. Ma mâchoire serrée m’avait déchiré l’intérieur de la joue. Le poids sur mes jambes est disparu d’un coup. C’était l’autre chat, la femelle, couchée sur mes jambes, qui n’avait pas aimé m’entendre ressusciter de la sorte.
Mango, mon chat qui hurle par séquence, sans qu’on n’ait jamais vraiment compris pourquoi, qui vocalisait librement en galopant dans toute la maison. Mon fils, réveillé partiellement par cette cacophonie avait émis quelques mots confus. Moi, la tête à demi sous l’oreiller, en train de cuire sous les couvertures, un autre oreiller sur le ventre, et ligotée dans ma camisole détrempée de sueur, en pleine crise d’angoisse. Décidément, il était vraiment temps que je consulte, mon amoureux n’était pas si fou de proposer.
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